A chaque parution, tous les mois, l’Alert Box, la newsletter de Jacob Nielsen, le grand maître de l’ergonomie, vient avec délectation titiller ou gratouiller nos opinions bien arrêtées. La polémique avait été virulente avait Stop Password Masking, “Arrêtez de masquer les mots de passe”, dans laquelle le petit danois facétieux préconisait d’arrêter de masquer les mots de passe par des points ou des étoiles pour améliorer l’usabilité des formulaires. Aujourd’hui il revient avec un article beaucoup plus long sur la construction des intranets en entreprise, Social Networking on Intranets, que je vous invite à lire si vous maîtrisez l’anglais.
3 choses essentielles pour réussir votre intranet
J’en retiens 3 choses qui me paraissent capitales et qui peuvent être transcrites à la conception de la plupart des applications internes dans les grandes entreprises.
1. Les réseaux sociaux sont là, ils existent que vous le vouliez ou non, et ils seront de plus en plus présent dans les entreprises, ne serait-ce que parce que les employés les plus jeunes seront de plus en plus des utilisateurs des réseaux sociaux et qu’ils seront en attente de ses outils pour pouvoir fonctionner en groupe.
2. On ne peut plus désormais concevoir une application collaborative centrée sur l’organisation de la société, mais sur les individus eux-mêmes et leurs manières de collaborer entre eux
3. Mettre en oeuvre un réseau social en entreprise prend beaucoup de temps, beaucoup plus de temps que sur le web ou les évolutions sont permanentes. Alors autant s’y mettre maintenant !
Mettre à genoux WordPress
Cela m’amène à évoquer un projet de création d’un intranet pour une communauté de spécialistes internet au sein d’une entreprise auquel j’étais intéressé de près. Très rapidement jaillit l’idée de mettre en place un blog, puis un forum avec un annuaire. Le webmaster qui était en charge du projet avait énormément d’idées sur les fonctionnalités à implémenter sur le site et se promettait de mettre à genoux un WordPress en le transformant en machine communautaire de la mort.
Quelques mois plus tard, après la mise en ligne, l’intranet de la mort était un désert de désolation. Aucun posts à part ceux du webmaster lui même, que personne ne lisait de toute façon. Aucune fréquentation dû à un problème de connexion balayé du revers de la main par un “Ils sont cons. Pour obtenir leur mot de passe, ils n’ont qu’à cliquer sur le lien “mot de passe oublié”.
“Oui, mais tes utilisateurs ne le voient pas. Il faudrait peut-être le rendre plus visible, lui rétorquai-je, en espérant que mes quelques notions en usabilité ferait leur effet.”
Mais le webmaster ne voulut rien entendre, car “il n’avait pas le temps”. C’est vrai qu’il préférait intégrer un nouveau module de partage de document ou je ne sais quoi et que ça avait beaucoup plus d’importance que de bouger un lien sur une page de connexion. Certes.
Un jour, faute d’intérêt, l’intranet ferma et on n’en entendit plus jamais parler.
Pourquoi cela n’avait-il pas marché ?
Contrairement aux recommandations de Nielsen, le webmaster n’avait eu, lors de sa conception, qu’une idée en tête : offrir le plus de fonctionnalités aux utilisateurs pour qu’ils puissent s’amuser et profiter des joies de la communication en réseau : chatter, twitter, commenter, bookmarquer, etc. Mais le résultat ressemblait fort à un part d’attractions vide dont les animations rouilleraient lentement en attendant d’improbables visiteurs.
Ce qu’avait oublié ce webmaster, c’est qu’en matière de communication, ce ne sont pas les fonctionnalités qui dictent les usages, mais bien les usages qui dictent les fonctionnalités. Autrement dit, un blog n’a de sens que s’il existe un réel besoin dans un processus de communication entre les membres d’une entreprise :
1. Les membres de l’entreprise ont-ils quelque chose à raconter ? (je vous rassure, le plus souvent, oui)
2. Les membres de l’entreprise ont-ils le temps de raconter quelque chose ? (la plupart du temps, ils vous diront que non, mais ils sont surtout affolés par la perspective de ne pas atteindre leurs objectifs et voient dans le blogging un gaspillage éhonté de ce précieux temps que leurs supérieurs verraient d’ailleurs d’un mauvais oeil gaspiller en une chose aussi futile que partager des idées avec les autres membres de l’entreprise)
3. Les membres de l’entreprise ont-ils l’accord explicite de bloguer par leur hiérarchie ?
4. Ce que racontent les membres de l’entreprise est-il spécifique à l’univers de cette entreprise ? Reprendre des niouzes du web n’a aucun sens puisqu’il suffit de partager les liens via un outil de bookmarking (Ah! Là, on a trouvé un usage)
Se concerter avant d’agir… recenser les vrais besoins…
Prendre soin de se poser ces questions amène forcément à une phase préalable de concertation entre les personnes impliquées par le projet. Mais là encore, un autre écueil apparaît : celui des bonnes intentions.
Pour démarrer une communauté, ne comptez que sur vous même. La participation des autres membres est sujette à au moins 2 risques bien connus:
1. Le faux enthousiasme que l’on peut appeler aussi les promesses bidons. Des types biens s’engagent à publier des billets pour vous, mais au bout de trois mois, ils n’ont toujours rien pondu et quand vous les appelez pour leur demander quand ils comptent s’y mettre, ils ne se rappellent même pas de quoi vous leur parlez (attention, pas de sexisme déplacé, c’est vrai aussi avec les femmes)
2. L’usure : publier une fois, deux fois, ça va. Publier toutes les semaines ou tous les mois, c’est une autre paire de manches.
Deuxième point important d’un intranet : l’animation.
Comme pour toute communauté (pensez aussi au Gentils Animateurs des Club Med), il faut un animateur qui… anime, qui fasse vivre, qui crée un engouement. Là encore, mon webmaster n’avait rien compris. Quand je lui disais “pourquoi n’enverrais-tu pas une newsletter pour les (tes utilisateurs) les faire venir sur le site”, il me répondit qu’il ne voulait pas déranger les gens en les spammant.
Je lui répondis qu’il ne s’agissait pas de spam, mais de lettre d’information et que c’était un bon moyen de faire venir des gens sur son intranet, mais il ne m’écouta pas. Le résultat évident fut que personne ne vint sur l’intranet. C’est sûr, ils n’étaient pas au courant que quelque chose s’y passait ! Mais, heureusement, au moins, personne ne fut dérangé dans son travail, ni ne se sentit offensé.
Mettre un intranet demande une réflexion centrée sur les utilisateurs et leurs besoins, pas sur les fonctionnalités. Etudiez, observez les usages, comprenez ce qu’il en ressort avant de construire une usine à gaz qui tombera en ruine avant le jour de l’inauguration.
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